Afrocyberféminismes

la séance de juillet

Post-
futurs
et temporalités alternatives

Mercredi 4 juillet / 19-21h

Avec le collectif Black Quantum Futurism

Black Quantum Futurism – crédit photo : Ryan Collerd

Performance/Conférence

Black Quantum Futurism

Rasheedah Phillips, avocate, autrice de science-fiction et Camae Ayewa aka Moor Mother, musicienne poète et artiste, sont les fondatrices du Black Quantum Futurism (BQF) et du Community Future Lab à Philadelphie, un espace dédié à l'émancipation des communautés par l'art et la musique.

Á l’instar de l’Afrofuturisme qui a imaginé des nœuds temporels qui échappent aux visions modernes du temps, le BQF travaille sur l’amalgame entre les temps quantiques de la physique et les traditions africaines de la conscience spatio-temporelle.

Quantum Time Capsule and DIY Time Travel

Ayewa et Phillips utilisent l’Afrofuturisme et la science-fiction pour leurs voyages temporels via la mémoire, l’imagination, la musique, le langage et les crystaux.

BQF cite explicitement le roman Kindred comme source d’inspiration de ses workshops consistant à créer des capsules temporelles et dans ses performances.

Performances

Christelle Oyiri [FR]

DJ, productrice, sound designer et critique. Elle présente Collective Amnesia : In memory of Logobi, une performance sur la mémoire des gestes des afrodescendants français.

Kiyémis [FR]

présente une performance poétique entre musique et considérations temporelles.

Gaîté Lyrique
Auditorium
3 bis rue Papin
75003 Paris

Tarif : 6 euros
(pass 6 séances : 30 euros)

dans le sillage d’Octavia E. Butler

Octavia E. Butler, histo-futuriste

Kindred, (Liens de sang), publié en 1979 est une histoire de voyage temporel non-sollicité, où la protagoniste est victime d’un phénomène d’aller-retour spaciaux-temporels entre son époque, la Californie de 1976 et le Maryland du début du XIXe siècle.

Dana est noire, Kévin est blanc. Mariés depuis peu, ils emménagent en Californie. La jeune femme disparaît du salon, puis réapparaît quelques instants plus tard, couverte de boue. Sans contrôler ni ses départs, ni ses retours, Dana est propulsée dans le temps de l'esclavage dans une plantation du Sud, où elle est contrainte de sauver la vie d’un propriétaire d’esclaves blanc qui s’avère être son ancêtre.

Butler est assez fière d'avoir inventé le terme “histo-futurisme”. Dans un carnet de 1981, elle parle du travail des futuristes. Des gens qui essaient de prédire le futur et qui, selon elle, ont tendance à se focaliser sur le futur. Dans le second paragraphe, elle parle des historiens, plus intéressés par les humains que les futuristes mais qui à l'évidence, sont tournés vers le passé. Ensuite elle parle d'histo-futuristes : “l'histo-futuriste est mon invention”. Elle englobe dans ce terme celui qui regarde à la fois vers l’avant, mais sans vouloir tourner le dos au passé et qui est capable de combiner un intérêt pour l'humain et pour la technologie.

Jenny Terry (Durham University), conférence « Time bombs, time laps and time capsule in the fiction of octavia butler and the art of ellen Gallagher », dans les archives d’Ocatavia Butler conservées à la Huntington Library (source)

ressources

Prochainement.

compte-rendu

Prochainement.

création visuelle

Pour chaque rencontre du cycle, les commissaires invitent un.e artiste à créer une œuvre plastique en écho à la séance.

Eric Abrogoua (1982, Côte d’Ivoire) est artiste, poète et performeur. Son travail se nourrit de ses relations aux pays/continents dans lesquels il a grandi : la Côte d’Ivoire, la France et les USA. À partir de 2004, il développe sa pratique en travaillant sur les questions de genre et sur la recherche des déplacements identitaires, entre enracinement et remise en question systématique.

https://www.facebook.com/Viorencianaomi/

Notes d’Eric Abrogoua

3 mois de création. Malick Sidibé a été une des inspirations principales pour cette vidéo, côté costumes. On retrouve dans son oeuvre photo, cette ambivalence des années 1960 et ce questionnement sur un futur ou l’étiquette Afro devient une marque du quotidien. Ce paradigme du temps, reste au coeur de l’oeuvre d’Octavia Butler-voir du questionnement afrodescendants, qui est mien, et celui de plusieurs jeunes-femmes rencontrés.

L’idée de la pluralité de voix de femmes m’est venu à la suite du film L’Arbre sans fruit de Aicha El Hadj Macky, un film parlant du quotidien d’une femme du Niger, en quête de fécondité, devenir mère, et ce que ce statut constitu dans la société Nigérienne.

Je voulais rendre compte d’une réalité à laquelle se heurte la femme afro, ou qui lui est quotidienne, mais avec des voix de femmes afrodescendantes qui se suivent, et parfois s’affrontent.

L'arbre sans Fruit, Aicha Macky, 2016.

Ces mois de travail ne seraient que du vent, sans mon équipe au total.

Alain Dietrich, assistant-costume

Avec son savoir-faire du stylisme, dû à un passé dans la Haute Couture, il a su me donner les armes pour réaliser ces créations, les patrons et les découpages…Je le suis d’une très grande reconnaissance dans sa collaboration sur ce projet.

https://www.facebook.com/Viorencianaomi/

Les actrices

Annabelle Lengronne

Actrice française, que beaucoup ont pu admirer dans le téléfilm Danbé la tête haute dans le rôle d’Aya adulte, ou encore dans le film La fine équipe. Elle s’est ici prêtée au jeu de l’introspection à travers ce voyage dans l’histoire. Vous pourrez la retrouver bientôt au cinéma, dans le film SUN, produit par Rouge International et réalisé par Jonathan Desoindre en novembre 2018; Zone Franche, produit par QUAD et réalisé par Mohamed Hamidi qui sortira en février 2019; dans le rôle principal de La Frontière, produit par Versus Production et réalisé par Frédéric Fonteyne.

Amanda Beniakrou

Jeune monteuse française, s’est prêtée au jeu d’acteur pour une première expérience... Vraie et inspirée.

Amanda Beniakrou

Nadia Sokoury

Pour une petite expérience de cinéma et de modèle, Nadia a été l’une des premières à accepter de passer devant la caméra en tant qu’actrice et à participer activement en temps que modèle à Afrolution Fragrance.

Vbss

Nadia Sokoury

Les voix-off

Snow

Chanteuse, compositrice et interprète qui a participé au début de projet VBSS, en tant qu’actrice.

Snow

Snow

Elisabeth Twambe

Performeuse, artiste plasticienne et encore d’autres facettes artistiques, elle a posé sa voix en se prêtant au jeu de ce voyage de femmes.

Elisabeth Tambwe

Les costumes…

Il en a fallu du temps pour réaliser ces trois tenues différentes à base de wax et de récup. Le wax jouant ce côté double, avec cette idée de l’exotisme mais en même temps plutôt Européen, voir même Hollandais. Cette complexité à travers ce mariage de plusieurs tissues, alignant le temps entre les années passées et la continuité dans un présent / futur assez flou ...Je voulais qu’on le ressente. Afrolution Fragrance est le début d’une aventure, d’un travail qui se prolongera pour toute l’année 2018-2019, mêlant couture, écriture, performance, le tout filmé. Je vous invite à suivre et pourquoi pas à en faire l’expérience.

Je n’oublie surtout pas un grand remerciement à BQF - Black Quantum Futurism, pour la capsule temporelle.

fiction

Pour chaque rencontre du cycle, les commissaires invitent un.e aut.rice.eur à écrire un texte en écho à cette séance.

Ketty Steward est poétesse et écrivaine de science-fiction. Ses dernières nouvelles se trouvent dans son recueil de science-fiction, Connexions Interrompues, chez Rivière Blanche, les anthologies Malpertuis V et L'Amicale des jeteurs de sorts, aux éditions Malpertuis, Faites demi-tour dès que possible et Au Bal des Actifs aux éditions La Volte. Elle est également l'autrice d’un roman autobiographique, Noir sur Blanc paru en 2012 aux éditions Henry. En 2017 et 2018, elle assure la direction de deux numéros spéciaux de la revue Galaxies consacrés à l’Afrique. Son dernier livre Confessions d’une séancière est publié en 2018 par les Editions Mu.

Temps Noir

Un soir de début juillet ! La pire période pour sortir, car je suis toujours épuisée à la veille des congés d’été. Mais c’est une conférence sur le temps.

Le temps, justement, qui m’use, celui qui court, que je ne rattrape jamais, qui se perd, qui se gagne, mais finit par s’écouler.

La conférence est gratuite, cadeau d’une amie occupée, et prendra deux heures de mon temps. Si le temps c’est de l’argent, l’inverse aussi doit être vrai ; je devrais pouvoir passer un grand moment.

J’ai vu des dizaines d’exposés : « le temps, comment l’optimiser », « le temps, le vivre pleinement » et même « le temps n’existe pas, prenons-le ».

À chaque fois, j’ai eu le sentiment de mieux comprendre mon tyran. À chaque fois, ça n’a pas duré, parce que les minutes et les heures, sans pitié, continuaient de s’imposer, de me dicter leur rythme fou : avancer, avancer, avancer !

Cette fois, le titre me semble plus original, plus mystérieux aussi : Temps Noir.

Je sais ce que sont les trous noirs, ces aspirateurs voraces de la matière et de la vie. Appliquée au temps, cette notion m’évoque les heures disparues de mes semaines trop pleines ou bien les journées de vacances, décomptées du calendrier, mais effacées de ma mémoire.

Est-ce cela, le thème de ce soir ? Aucune idée ! J’aurais dû me renseigner !

Mon smartphone à court de batterie.

En entrant dans l’amphithéâtre, un peu avant l’heure du début, je souris. S’il y a quelque chose de noir, c’est bien cette assemblée. Des hommes et des femmes de tous âges à la peau sombre, comme moi, forment les trois quarts de l’auditoire.

Vais-je assister à une performance sur la réputation des Africains d’être trop souvent en retard ? C’est absurde.

Ce stéréotype l’est aussi. La salle est déjà presque pleine.

Est-ce un meeting de politique ? Un rassemblement pour clamer le temps des noirs enfin arrivé ? Ce n’est pas trop le genre du lieu qui accueille surtout des artistes et parfois des scientifiques.

Temps Noir.

Je m’installe dans un fauteuil dont le moelleux me surprend et m’enveloppe dans une torpeur tiède et dorée. J’aurais dû rester dormir chez moi !

Je lutte pour garder l’œil ouvert et c’est dans une brume quasi onirique que je vois entrer l’intervenante.

C’est une femme noire, fine, élancée, tenue foncée, avec une longue tresse. Sa voix grave est amplifiée par un micro qui renvoie de l’écho à travers toute la pièce. Que dit-elle ? Son timbre me plaît, mais je suis incapable de discerner dans quelle langue elle s’exprime.

Je me laisse bercer.

J’ai dû m’assoupir, car soudain, c’est le silence qui me réveille. Elle remercie : « Thank you, thank you ! » C’était donc un speech en anglais.

Ai-je dormi longtemps ? L’écho a-t-il la capacité d’agrandir l’espace et le temps ?

Je regarde autour de moi. Les gens semblent concentrés. Je me redresse dans mon siège, histoire de tenter de rester digne.

Une deuxième femme remplace la première. Robe rouge et bleu à lèvres. Elle réussira, sans mal, à capturer mon attention.

Un écran allumé derrière elle affiche une vidéo de son double qui parle sans un son. La version vivante sourit et dit « Hi ! Everybody ! ». Son micro est mieux réglé. Je comprends les mots qu’elle prononce, malgré une musique hypnotique omniprésente. Elle raconte le temps occidental, une contrainte imposée aux esclaves dont il faudrait pouvoir s’extraire. Puis, elle suggère des méthodes pour modifier le cours du temps : des exercices de pleine conscience pour agrandir l’instant présent, des techniques à base de miroirs, d’incantations et de marche à l’envers pour renverser, si ce n’est le temps, la perception que nous en avons. Son reflet électronique mime chaque explication.

Je trouve l’exposé amusant, mais la luminosité basse, la danse oscillante des pendules, la musique, ont raison de moi.

Mes paupières sont lourdes, mes pensées sont sourdes.

Je glisse encore dans le sommeil.

La voix change, des mots en français, mais je ne peux pas émerger. Je suis gênée, mais bien endormie.

Autres sons, éclairage plus vif, j’entrouve les yeux pour découvrir une nouvelle femme toute en cheveux. Elle est penchée sur une console pleine de boutons qu’elle triture. Derrière, sur l’écran, des hommes défilent pour exécuter les pas épileptiques d’une danse insolite : troncs immobiles, ils agitent jambes et bras dans un mouvement d’essuie-glaces. On n’entend pas leur musique à eux, mais une autre, désynchronisée, dont le volume monte et descend, à chaque toucher de bouton. Quelle heure est-il ?

Écran noir.

Je bâille large et je m’aperçois que la DJ me fixe. Malgré la distance et les faisceaux colorés, elle me voit. Elle fait grincer les fréquences aiguës jusqu’à me fendre le crâne en deux. Je m’excuse mentalement et le son redevient audible.

Les hommes-essuie-glaces balaient devant eux, les rythmes se rencontrent enfin, la femme-cheveux murmure dans son micro : « Logobi ! »

L’écho est de nouveau par là. Il répond : « Logobi, logobi ! ».

« gobi, gobi ! »

Le temps bute sur son propre miroir.

Temps Noir.

J’entends mon cœur qui bat.

« Côte d’Ivoire »

Le rythme se maintient

« Logobi »

La lumière s’éteint

Temps Noir, temps noir…

Mon fauteuil bascule en arrière

Le temps est arrivé

Le temps fait ce qu’il veut

« Noir, noir, noir ! »

Je fonds dans la noirceur

Sombre, de plus en plus sombre

Temps mort,

J’ai la nausée.

Coup de marteau.

Plus rien.

*

« Madame, avancez, s’il vous plaît ! »

Je sursaute et manque de tomber. Je me tiens debout dans une file d’attente. La lumière est revenue.

« Avancez ! »

C’est mon tour.

J’ai déjà vécu cet endroit.

« Pour la conférence Temps Noir, c’est à droite. Présentez votre billet. Merci ! »

Temps miroir !

Je sais.

Je me souviens de ce futur.

Ce sera une étrange performance.

Un pur moment de sorcellerie.

Ou d’alchimie.

Cette fois, je dois rester éveillée.

J’avance en sautillant un peu.

Un mouvement heurté, saut de biche, de jeune gazelle égarée.

« Logobi ! »