Afrocyberféminismes

la séance de mai

The Black Stars

Mercredi 23 mai / 19-21h

Conférence de Mawena Yehouessi (aka M.Y) et Tarek Lakhrissi
Performance de Kapwani Kiwanga

Afrogalactica II: The Black Star Chronicles, Kapwani Kiwanga. Courtesy the artist and Galerie Tanja Wagner, Berlin.

Cette séance est consacrée aux héritages de l’Afrofuturism, aux afrofuturismes des afrodescendant.e.s et au futurisme arabe.

Le terme « Afrofuturism » a été utilisé pour la première fois en 1994 par Mark Dery pour décrire une « science-fiction et une cyberculture du XXe siècle au service d’une réappropriation imaginaire de l’expérience et de l’identité noire. » L’Afrofuturisme trouve sa source dans la diaspora établie aux Etats-Unis, et est associé à des artistes comme Sun Ra, George Clinton et Octavia E. Butler. Avec More Brillant Than the Sun (1998) de Kodwo Eshun, l’Afrofuturisme devient le mot d’ordre d’une avant-garde esthétique et politique. La puissance de mobilisation et de subversion de l’afrofuturisme reste-t-elle intacte au XXIe siècle ?

Conférences

Mawena Yehouessi (aka M.Y)

Mawena Yehouessi est directrice artistique et fondatrice de la plateforme Black(s) to the Future. Elle explore les potentiels de l’Afrofuturisme au XXIe siècle et en Europe notamment à travers la pratique du collectif et du care. Son slogan : mettre en lumière la part « afro » du monde et « performer » le futur.

Tarek Lakhrissi

Tarek Lakhrissi est un écrivain et artiste basé à Paris. Diplômé en études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle - Paris III, travaille sur le langage et l'identité ou plus précisément sur le brouillage des identités. Il a réalisé en 2017 le documentaire diaspora/situations. Tarek Lakhrissi part du concept de Gulf Futurism, énoncé par l’artiste américano-qatarie Sophia Al Maria pour explorer l’hypothèse d’un « Arab Futurism s» .

Conférence performée

Kapwani Kiwanga

Conférence performée : The Black Star Chronicles.

Dans la trilogie Afrogalactica, un abrégé du futur, l'artiste canadienne Kapwani Kiwanga incarne une anthropologue qui vit en 2100 dans les États-Unis d’Afrique, Confédération constituée en 2058, 100 ans après la Conférence panafricaine des Peuples d'Accra.

Le chapitre 2, The Black Star Chronicles traite de la fabrication du genre et de la race. La conférence fait référence au travail d'Octavia E. Butler et Samuel R. Delany. En empruntant à leurs récits féministes, post-genres et queer, la performance examine des thèmes tels que la reproduction, l'innovation technologique et le mélange racial. La figure du cyborg à la fois comme modèle biologique et métaphorique est mise en relation avec les expériences africaines et diasporiques.

Gaîté Lyrique
Auditorium
3 bis rue Papin
75003 Paris

Tarif : 6 euros
(pass 6 séances : 30 euros)

dans le sillage d’Octavia E. Butler

Octavia E. Butler, afrofuturiste?

La tendance de Butler à séparer ses protagonistes noirs de leur famille natale, les forçant à se créer de nouveaux foyers parmi des étrangers, met à l’épreuve l’intention communautaire de l’Afrofuturisme. Bien qu’elle s’en approche au plus près en décrivant des communautés de travailleurs africains ou africains américains dans Kindred et dans certaines parties de Wild Seed, les familles noires dans ces récits sont brisées ou appartiennent au passé, et sont toujours supplantées par un présent et un futur racialement plus hétérogènes.
Peut-être que la lecture de Butler propose une version faible de l’Afrofuturisme : elle place une sensibilité afro-centrée au cœur de ses récits, mais ne projette pas la survie sociale ou politique de communautés traditionnelles racialisées. Au contraire, les ségrégations qu’elle imagine de la manière la plus puissante sont les fantastiques remplaçants que sont les Patternists et les Muets, les Oankali et les humains, les (vampires) Ina et les humains, les extra-terrestres aux formes d’insectes et les humains. Mais même dans ce cas, son projet est de trouver de la porosité entre des barrières biologiques apparemment logiques et insurmontables. Cette insistance sur l’hybridation au-delà de l’inconfort fait que le travail de Butler n'est ni précurseur du nationalisme culturel noir ni une adaptation au pluralisme libéral dominé par les blancs. Il excède nos manières communes de définir et de résoudre les politiques raciales.

De Witt Douglas Kilgore and Ranu Samantrai, A Memorial to Octavia E. Butler
Science Fiction Studies Vol. 37, No. 3 (November 2010), pp. 353-361
Lien vers l'article

ressources

1. Qu'est-ce que l'Afrofuturism ?

L'interview de Mark Dery avec Samuel Delany, Greg Tate and Tricia Rose publiée en 1993 est le plus souvent présentée comme le moment où le critique américain invente le concept d'Afrofuturism. En introduction, Dery s'interroge sur la rareté des auteurs de science-fiction africains-américains alors même que la SF est le genre dans lequel le thème de la rencontre avec "l'autreest central et il fait le lien entre les notions d'aliens, de robots et la question de l'esclavage. Dans les échanges, il apparaît que les productions artistiques africaines-américaines en lien avec les technologies sont nombreuses et complètement en phase avec l'époque. Il semble donc que c'est la spécificité de la condition noire qui va donner au concept sa pertinence.

Voilà la définition qu'il va donner à l'Afrofuturism :

« Une fiction spéculative qui traite de thèmes africains-américains et de préoccupations africaines-américaines dans le contexte de la technoculture du 20e siècle – et, plus généralement, de signification africaine-américaine qui approprie les images de la technologie et d'un futur prosthétiquement augmenté– pourrait à défaut d'un terme meilleur, être appelé « Afrofuturism ». La notion d'Afrofuturism donne lieu à une troublante antinomie : une communauté dont le passé a été délibérément effacé et dont les énergies ont par conséquent été consumées par la recherche de traces lisibles de son histoire, peut-elle imaginer des futurs possibles ? En outre, le domaine irréel du futur n'est-il pas déjà la propriété des technocrates, futurologues, « streamliners » scénographes – blanc pour un homme – qui ont inventé nos fantasmes collectifs ? Les fantômes sémiotiques du Metropolis de Fritz Lang, les illustrations de Franck R. Paul pour les Amazing Stories de Hugo Gernsback, les appareils ménagers chromés, en forme de goutte d'eau rêvés par Raymond Loey et Henry Dreyfuss, le Futurama de Norman Bel Geddes et la Foire internationale de New York de 1939, et le Tomorrowland de Disney continuent de hanter l'imagination populaire, d'une manière capitaliste, consumériste. Mais les voix africaines-américaines ont d'autres histoires à raconter sur la culture, la technologie et les choses à venir. »

Á noter l'intéressant échange avec la chercheuse Tricia Rose, qui au même moment prépare une thèse sur le hip hop. Tricia Rose montre que si Afrika Bambaata et les jeunes Africains-Américains s'emparent de la musique de Kraftwerk, c'est d'une part parce que la crise de l'industrie a massivement mis au chômage la jeunesse noire qui va se reconvertir dans l'économie informelle du service et la réparation des ordinateurs. Et d'autre part, parce que s'emparer du robot comme un retournement du stigmate va sembler la meilleure réponse de la jeunesse africaine-américaine qui a bien conscience de n'être qu'une main-d'œuvre au service du capitalisme.

Lectures

  • MarkDery, “Black to the Future,” in Flame Wars. The Discourse of Cyberculture, Mark Dery, ed. (1993; repr. Durham NC: Duke University Press, 1997).( Lien vers l'article. )
  • Lien vers le site de Mark Deryhttp://markdery.com.

Afrofuturism Reloaded: 15 Theses in 15 Minutes

En 2016, Mark Dery rédige un nouveau texte inédit intitulé "Afrofuturism Reloaded: 15 thèses en 15 minutes", dans lequel il passe en revue les mutations de l'Afrofuturism et ses applications récentes. Dery diagnostique l'actualité persistante du terme en tant que symptôme de l'écart persistant entre le rythme effréné du développement technologique et le manque de justice sociale pour les Africains-Américains. Un de ses exemples est la musicienne Janelle Monáe, dont l'alter ego Cindi Mayweather peut être interprété comme une création hybride qui invite à réfléchir sur le lien dans l'Afrofuturism entre esclave, robot et construction de l'autre comme alien.

Afrofuturism reloaded 15 theses in 15 minutes. ( Lien vers l'article. )

En 1998, le critique, écrivain, artiste et théoricien culturel ghanéen-britanique, Kodwo Eshun publie More Brillant than the Sun. Adventures in Sonic Fiction dans lequel il poursuit l'exploration des productions artistiques noires au croisement de la science-fiction, du futur et de la musique. L'ouvrage est marqué par le style de son auteur qui fait un usage extensif des néologismes et se place dans la lignées des avant-gardes artistiques.

Kodwo Eshun y précise notamment que le terme d'Afrofuturism émerge alors que l'ébullition créative qui croise science-fiction, technologies et productions artistiques africaines-américaines est déjà là. Il rappelle qu'avant le texte de Mark Dery, un autre journaliste, britannique cette fois, Mark Sinker, va aller aux Etats-Unis pour écrire sur la Black Science Fiction se faisant l'écho des travaux de Greg Tate, un des premiers à écrire sur les liens entre technologie, science-fiction et musiques noires. L'article de Sinker,

The last Angel of History, (1995), John Akomfrah (réalisation) et Edward George (écrit et recherches) du Black Audio Film Collective, explore les relations entre le Panafricanisme, la science-fiction, les voyages intergalactiques et la culture numérique.

2. Afrofuturism et science-fiction africaine

Si à partir du milieu des années 2000, de plus d'artistes, de chercheurs, d'écrivains, de designers font référence à la science-fiction, aux technologies et aux arts des média dans leur travail, cela ne devrait pas être interprété comme la version continentale de l'Afrofuturism. Dans son essai What is Afrofuturism to Africa, la chercheuse, artiste et curatrice sud-africaine Tegan Bristow souligne que contrairement à ce que son nom suggère l'Afrofuturism n'a rien voir avec l'Afrique mais plutôt avec les relations de pouvoirs qui s'inscrivent dans l'histoire de la cyberculture occidentale et la construction d'une altérité radicale. « Quand j'ai commencé ma recherche, le terme Afrofuturism était associé à tout ce qui avait à voir avec l'art et la technologie en Afrique. Le problème, c'est que très peu d'artistes eux-mêmes auraient utilisé ce terme pour décrire leur travail » explique-t-elle dans l'interview Just don't call us Afrofurist à propos de l'exposition Post African Futures à la Goodman Gallery dont elle est la commissaire. La commissaire et chercheuse insiste sur la nécessité d'appréhender les technologies sur le continent africain à partir des cultures locales : « Post African Futures répond à un manque fondamental de compréhension de la position culturelle de l'Afrique en termes de médias et de technologie. Il semble y avoir une hypothèse par défaut selon laquelle le numérique est une technologie occidentale et son influence et son utilisation sont donc également occidentales. C'est problématique pour deux raisons. Premièrement parce cette hypothèse nie les conséquences du néo-colonialisme à travers les technologies de la communication et deuxièmement parce qu'elle suppose qu'il n'y a pas d'histoires africaines et régionales uniques de la technologie. »

Le succès récent du blockbuster Black Panther (voir ci-dessous) laisse présager que concernant les relations du continent africain à l'Afrofuturism, il y aura surement un "avantet un "aprèsBlack Panther.

3. L'afrofuturisme : de la contre-culture au mainstream

L'Afrofuturism a été récemment popularisé par le blockbuster planétaire Black Panther, la vidéo All the Stars de Kendrick Lamar et SZA, ou encore le court-métrage musical de Janelle Monáe Dirty Computer. Mais ce mouvement existait avant même que l'auteur et critique Mark Dery ne lui donne un nom en 1993, représenté par des musiciens comme Sun Ra et George Clinton, des écrivains comme Samuel R. Delany et Octavia E. Butler.

Black Panther, le dernier blockbuster Marvel, réalisé par l’Africain-Américain Ryan Coogler montre pour la première fois à l’écran un super-héros noir et africain, régnant sur un royaume alliant tradition et haute technologie (le Wakanda), bien loin de l’imagerie misérabiliste habituelle associée d'ordinaire à l’Afrique sub-saharienne.

« Si la vogue afrofuturiste s’est progressivement diffusée aux Etats-Unis via des artistes musicaux plus grand public comme Erikah Badu, Missy Elliot, Janelle Monae ou encore plus récemment Kendrick Lamar (qui signe la B.O du film), elle s’est aussi étendue ces dernières années au continent africain, en particulier dans les pays anglophones via leur étroite connexion avec les Etats-Unis et l’influence de plusieurs membres de leurs diasporas. »

  • Le Wakanda de Black Panther, une Afrique du futur en miniature ?
    Par Emilie Guitard, chercheuse en anthopologie sociale, Carnets de terrain, blog de la revue d'anthropologie et de sciences humaines Terrain. (Lien vers l'article.)

Dans Black Panther, le futur est féminin. Certes le héros titulaire est le roi T'Challa, mais ses gardes du corps, conseillères, et technologue sont toutes des femmes. Il en va de même pour l'équipe derrière la caméra : le design du décor du film, des costumes etc... sont l'oeuvre de Jannah Beachler (Moonlight, Lemonade de Beyoncé) et Ruth Carter...

  • « Black Panther » : afrofuturisme, drame politique et femmes fortes pour un succès planétaire
    par Jules Crétois et Tatiana Ekodo (Jeune Afrique, 23 février 2018). (Lien vers l'article.)
  • « Black Panther » : du succès imprévisible à la fierté de l’Afrique
    par Clarisse Juompan-Yakam (Jeune Afrique, 30 mars 2018).( Lien vers l'article.)

« L’intelligence marketing de Marvel fut de raconter, dans un décor futuriste, une épopée africaine dans sa gloire restaurée. Et c’est cette Afrique aimée, rêvée, mythique du professeur Diop, inscrite dans l’inconscient collectif de l’humanité, qui remplit aujourd’hui les salles de cinéma. Le radicalisme de Malcom X, l’universalisme de Martin Luther King, le panafricanisme de Marcus Garvey, l’afrofuturisme de Mark Dery tissent les toiles de fond de ce blockbuster avant-gardiste, coloré et cultivé.»

  • Michel Bampély, Blog Humeurs noires (sur Libération.fr). (Lien vers l'article.)
  • Afrofuturist Sonic Dreamworlds: On Black Panther, Robert Barry, The Quietus, 17 février 2018. ( Lien vers l'article.)
  • Afrofuturism : why black science fiction can't be ignored, Gena-mour Barrett (BBC, 7 mai 2018). (Lien vers l'article.)

4. L'Afrofuturism et le féminisme

Si les grandes figures que ont médiatisé l'Afrofuturisme sont plutôt des hommes : Dery, Eshun,Tate, Akomfrah, les femmes occupent une place particulière dans la galaxie afrofuturiste.

Tricia Rose, est chercheuse africaine-américaine. Elle est la première américaine à écrire une thèse sur le hip hop, éditée sous le titre de Black Noise: Rap Music and Black Culture in Contemporary America (Wesleyan University Press, May 15, 1994).

Alondra Nelson, professeur de sociologie à Columbia University, autrice de The Social Life of DNA: Race, Reparations, and Reconciliation after the Genome et Body and Soul: The Black Panther Party and the Fight against Medical, doit aussi être présentée comme une des chercheuses qui a donné ses lettres de noblesse au terme d'Afrofuturism. En 2002, elle co-dirige un numéro spécial de Social Text, Afrofuturism qui croise culture, technologie et diaspora africaines à travers la littérature, la poésie, la science fiction et la fiction spéculative, la musique, les arts visuels et Internet et affirme que l'identité raciale influence fondamentalement les pratiques technoculturelles.
Afrofuturism archive

Pour Christelle Oyiri, l’Afrofuturism trouve d’autant plus de sens lorsqu’on le corrèle au féminisme : "Ytasha L. Womack, auteure du livre Afrofuturism: the World of Black Sci-Fi Fantasy and Fantasy Culture, commence par expliquer que l’Afrofuturism est pour elle « hautement intersectionnel » puisqu’il permet d’évaluer le champ des futurs possibles ou des réalités alternatives à travers le prisme de la culture noire. Le féminisme d’inspiration afrofuturiste peut rappeler par certains aspects le cyberféminisme. Ce dernier a été consacrée par Donna Haraway en 1991 avec son Cyborg Manifesto, où les cyborgs n’avaient pas de genre, opéraient en dehors de toute notion de race, de procréation ou de structure familiale dans un futur centré uniquement sur le progrès et ses avancées technologiques. Les féministes afrofuturistes se distinguent pourtant d’une vision utopiste et linéaire : « Nous n’éradiquons pas le corps noir ou le corps de la femme noire, ni l’histoire dont ils ont été témoins ».

La musicienne Missy Elliot a fait explicitement référence directement à la science-fiction.
Missy Elliott Descends from Planet Rock - Afrofuturism Ep. 5: Missy Elliott

Playlist

The evolution of Missy Elliott(1991-2018)

Ingrid Lafleur est la première Afrofuturiste entrée officiellement en politique.

Ingrid LaFleur est une artiste et Afrofuturiste revendiquée. Elle présente sa mission comme étant d'assurer une répartition égale du futur, explorant les frontières de la justice sociale à travers les nouvelles technologies, les économies et les modes de gouvernement. En 2017, elle annonce qu'elle veut officiellement se présenter comme candidate à la Mairie de Détroit. Elle est également activiste et met en œuvre des stratégies afrofuturistes telles que la blockchain, la crypto-monnaie, et le revenu de base universel pour permettre aux noirs et aux communautés opprimées de s'émanciper.

En décembre 2013, Martine Syms publie The mundane afrofuturist manifesto en ligne sur Rhizome. Le manifeste est inspiré du Clarion West Writer's Workshop de 2004, où les écrivains de science-fiction et de fantaisie ont appelé à une nouvelle science-fiction fondée sur le futur de l'humanité sur la Terre plutôt que dans des vaisseaux spatiaux ou des mondes extra-terrestres. Dans son manifeste, Syms déclare «  bien que nous sommes souvent « othered », nous ne sommes pas des extra-terrestres. Bien que nous ancêtres aient été mutilés, nous ne sommes pas des mutants ». Elle plaide pour la production d'un Afrofuturism ordinaire, qui ne contienne pas de voyages interstellaires (trop longs et trop chers) pas de fin inexplicable du racisme, pas d'aliens, pas d'univers alternatifs... Syms souhaite que les artistes créent des œuvres afrofuturistes qui ne tentent pas d'assainir la nature compliqué chaotique et brutale d'un racisme structurel.

Mundane afrofuturist manifesto

Janelle Monae, Dirty Computer: Emotion Picture

Les vidéos musicales futuristes de l'artiste ont joué un rôle important dans la diffusion mainstream de l'Afrofuturism. « L'afrofuturisme, c'est moi, nous... ce sont les Noirs qui se voient eux-mêmes dans le futur », explique-t-elle dans une publicité pour Spotify.

Ce film de 44 minutes qui accompagne son nouvel album raconte l'histoire de Jane 57821, une femme qui tente d'échapper à un gouvernement totalitaire qui veut effacer sa mémoire. Le film met en scène des groupes minoritaires, personnes de couleur et LGBTQ, qui sont menacés.

5. Gulf Futurism

La musicienne Fatima Al Qadiri et l'écrivaine Sophia Al-Maria ont proposé le terme Gulf Futurism pour décrire leur nouvelle esthétique s'inspirant des infrastructures hypermodernes des régions du Golfe dont elles sont originaires, du kitsch culturel globalisé et des normes sociales répressives pour formuler une critique d'un futur dystopique devenue réalité.

  • « The desert of the Unreal » par Karen Orton, Dazed 9 novembre 2012). (Lien vers l'article )
  • Interview de Fatima Al Qadiri et Sofia Al-Maria sur le Gulf Futurism. (Lien vers l'interview. )
  • « The Gaze of Sci-Fi Wahabi: A Theoretical Pulp Fiction and Serialized Videographic Adventure in the Arabian Gulf’ par Sofia Al_Maria (2008). (Lien vers le blog dédié.)
  • Afrofuturism and Arabfuturism: Reflections of a Present-day Diasporic Reader
    par Lama Suleiman, Tohu Magazine 12 juin 2016. Lama Suleiman explore le concept naissant d'Arabfuturism pour qualifier certaines productions culturelles arabes et palestiniennes. (Lien vers l'article)

Le théoricien Jussi Parikka s'intéresse à l'art contemporain récent qualifié de Gulf Futurism et Arab Futurism avec un focus géographique spécifique sur le Proche et Moyen-Orient. Ces discours et pratiques artistiques peuvent être comprises comme des formes particulières de contre-futurismes. Ils poursuivent le travail plus ancien de l'Afrofuturisme en utilisant un répertoire esthétique chargé de complexifier les notions normalisées du temps et de la technologie, mais dans un contexte géopolitique alternatif. Par example le travail de Larissa Sansour.

Middle East and other futurisms: imaginary temporalities in contemporary art and visual culture,
par Jussi Parikka (Culture, Theory and Critique Volume 59, 2018).

compte-rendu

“Black Stars”

Conférences- performances de Kapwani Kiwanga, Mawena Yehouessi (aka M.Y) et Tarek Lakhrissi

par Fanta Sylla, critique freelance et rédactrice-en-chef pour ATOUBAA

Comme depuis le tout début de ce cycle Afrocyberféminismes, la salle se comble rapidement. Une salle ou un vaisseau ?

Kapwani Kiwanga, présente “Black Star Chronicles” :

En effet, une femme, dont le visage sérieux nous est familier car il figure sur la photo de présentation de cette quatrième rencontre du cycle intitulée Black Stars, avance sur la scène. Direction les étoiles. Et surtout vers un autre espace-temps. 2158. C’est une voix qui commande, on pourrait dire, une voix de commandante qui emprunte bien sûr aux voix spatiales façonnées et immortalisées par la culture populaire (de Star Trek à Intergalactica), qui s’élève dans cette salle-vaisseau à la lumière tamisée.

Devant nous se trouve donc notre futur. Nous sommes, pour la durée de cette performance, demandés de nous considérer comme des ancêtres. Que vient nous dire cette anthropologue du futur ? Que vient-elle nous apprendre de ce que nous sommes devenus (et donc de ce que nous sommes déjà) ? Notre espèce a donc évolué mais reste tiraillée par des questions d’identité, de frontières ou de murs à abattre ou ériger.

On pourrait décrire la performance de l’artiste multidipliscinaire Kapwani Kiwanga, née au Canada mais vivant désormais à Paris, comme un cours magistral d’histoire spéculatif. Elle commence dans le futur et nous mène vers le passé, c’est à dire notre présent mais aussi bien sûr notre futur. Car c’est bien cela le propos de cette anthropologue : toutes les temporalités se rejoignent, il y a dans notre contemporain déjà des traces du futur et les questions que se posent nos descendants interstellaires sur leur destin, sur la pérennité de leur mode de vie.

Pour ceux qui sont là depuis le début, ou qui suivent grâce aux différents compte-rendus qui suivent chaque session du cycle, ou qui voient passé sur leur fils d’actualité les images qui illustrent ces sessions, cette conférence-performance est une somme des thèmes abordés depuis le début. Des visages et noms familiers : Henrietta Lacks, Octavia Butler, Samuel Delaney. Des thèmes inévitables : racismes, afrofuturisme, colonialisme, résistance, identité, cyborg.

Interlude : Oulimata Gueye et Marie Lechner parlent, la lumière est revenue.

Cette quatrième soirée est donc une sorte de bilan et le thème majeur qu’est l’afrofuturisme nous invite à retourner sur des discussions précédentes, des manifestes, des origines de cette expression. Il est fait référence du More Brilliant Than The Sun de Kodwo Eshun, de Greg Tate et de “black science-fiction”, Marc Dery, de la Californienne Martine Syms et de son manifeste pour un « mundane afrofuturism », un afrofuturism banal.

Comme disait le poète Sean T. Williams : « L’Afrofuturisme n’est pas pimpant, l’afrofuturisme c’est un lit et un jardin. »

Nous reviendrons donc à cette grande et passionnante question : « qu’est-ce que l’afrofuturisme ? », plus tard. Mais silence, car, celle qui nous en donnera la réponse la plus cinglante et intentionnellement énigmatique, entre en scène.

Mawena Yehouessi (aka M.Y), fondatrice de Black (s) To The Future

Split-screen. À la droite de l’écran, un long travelling, une surimposition de lieux, de rues, une horizon martime. On reconnaît Dakar, mais il y a d’autres villes (Johannesburg, Goré, Capetown). A gauche, c’est son alter-ego pixellisé tournant la tête de gauche à droite. Et juste devant, sur la scène assise en tailleur, dédoublée, Mawena Yehouessi (aka M.Y) récite un monologue, un poème. On se souvient de bribes de mots et de questions :

“Que veux-tu que je sois?“
“Un océan?”
“Corps-paysage. “

Au début, une voix magnifique s’élève et chante : plainte ou chant de joie ?

Derrière elle des voix aliens répondent.

Tarek Lakhrissi, artiste et écrivain.

La performance de Lakhrissi est une rupture. Non seulement car elle se projette en dehors de l’Afrofuturisme tel qu’il a pu être définit par les performances précédentes en spéculant sur un potentiel “Arab-futurism” mais parce qu’elle contraste par son immédiateté, son côté presque improvisé.

Des sons tropicaux relaxants. Et l’artiste qui commence à chanter avec Wallen, qui sera la muse du soir et le fil conducteur permettant au jeune homme de ne pas partir trop loin de ce qu’il connaît. Que même s’il parlera de Palestine, de Liban, de Koweït, il reste près de nous. Hommage à la Seine-Saint-Denis. Lakhrissi se lève, insolant, charmeur, occupant la scène avec des pas de danse trop sensuels, embrassant les plantes vers, le décor lui est tout de même bien pensé.

Des questions, des réponses et des non-réponses.

Qu’est-ce que donc l’afrofuturisme alors ? Est-il un concept, une idée, un outil (dans l’avant-propos de sa traduction de Mille Plateaux de Deleuze et Guattari Brian Massumi dit qu’un concept est une brique, vous pouvez vous en servir pour construire un palais de raison, ou vous pouvez le jeter pas la fenêtre.)

Pour Kapwani Kiwanga: Une reconnaissance des “multiplicités de temporalités.” (futur-présent-passé-présent-futur, à l’infini et au-delà)

Pour Mawena Yehouessi: Pas de réponse, ou une réponse délibérément vague, on refuse la définition pour plus d’espace, plus de liberté. “Ce qui est important c’est que ce terme pousse à faire.” dit-elle, catégorique. Ajoute : “Ce mot peut réunir mais n’a pas besoin d’être défini.”

Compte-rendu réalisé par Fanta Sylla avec des propos recueillis par Emma Buttin (Gaîté Lyrique).

Crédits photographiques : Gaîté Lyrique

création visuelle

« Les images utilisées ici sont en autres celles du monument Black Star Square, la cité Abraxas de Ricardo Bofil à Noisy-Le-Grand et de la grande mosquée de Tombouctou. Cela me paraissait plus juste de lier ces espaces en échos aux trois performances qui pour moi se reflète dans la composition de cette image dans laquelle les indices sont dissimulés. »

Josèfa Njtam

Josèfa Ntjam a fait ses études à l’Ecole Supérieure d’art et de Design d’Amiens (FR), à l’Institut des Arts et des Cultures de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (SN) et est diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure d’Art de Bourges (FR) et de l’Ecole Nationale Supérieure d’Art de Paris-Cergy (FR). Dans son travail, Josèfa Ntjam s’attache à déconstruire, à travers l'écriture, les mythes fondateurs et mobilisateurs de l’Histoire en les mettant en paralèlle d’.histoire.s alternative.s et singulière.s. Ses recherches mettent en exergue des zones troubles posées par les dérives de la Colonisation. Les problématiques post-coloniales, l’afrofuturisme, les futuribles, la science-fiction, l'écriture, la vidéo et l’installation lui permettent d’interroger les méthodes de production de l’Histoire. Dans son projet le plus récent intitulé « Plantes en révoltes », Josèfa Ntjam met en scène des plantes et l’histoire de leurs rôles dans des révolutions fictives.

https://ntjamjosefa.com

fiction

Pour chaque rencontre du cycle, les commissaires invitent un.e aut.rice.eur à écrire un texte en écho à cette séance.

Clara Pacotte expérimente la vidéo entre documentaire et fiction. Elle est autrice de science-fiction d'anticipation où elle explore des alternatives sociales questionnant les questions de genres et de communautés. Son travail écrit se mêle actuellement à la préparation d'un docu-fiction d'anticipation insurrectionnelle situé en 2076. Elle a publié le roman non-binaire Mnrvwx, en 2017 (ed. Oparo) et co-dirige, au sein de la Cheapest University, un programme autour des science-fictions, des questions queer et des féminismes avec Charlotte Houette.

https://clarapacotte.hotglue.me

TLC convergentexs

La légende disait que la TLC venait des 4 points extrêmes de la Terre.

Que de ces 4 points et en faisant le contour des anciennes océanes, ça formait un grand cercle serti de deux flèches tournées vers le ciel, dont l’une barrée d’une droite, et d’une sorte de croix placée l’opposé.

Les conteusexs de fables disent que la Terre fait partie de l’univers et qu’on ne put jamais déterminer exactement d’où les convergentexs étaient venuexs.

Elles racontent que todes arrivèrent à bord d’embarcations en forme de bras, de lèvres, de seins naissants, allongés ou bombés, de doigts, de clitoris grandis, de crânes prognates ou d’arcades sourcilières proéminentes. À l’époque il y avait de l’eau et elle appartenait à todes. On pouvait encore y naviguer sans permis à la voile et fabriquer sa propre bâtelle de bois d’ébène, de maïs tissé, de palmier creusé, de pétales amidonnées, de mie de pain compactée, de toiles d’araignées emprisonnant des coques vides de fruits.

Le voyage fut si long, algunes disent, qu’à l’endroit de leur convergence et à l’heure du débarquement de leurs outils, leurs vivres et leurs corps bigarrés, la mer salée avait recouvert les continents. Les fleuves étaient bloqués dans les barrages. Qu’elles durent à un moment rouler leurs barques jusqu’aux plaines qui bordaient encore une haute montagne. Les vallées y menaient de leurs flancs glissants d’une boue graisseuse, une centaine d’entre elles se décourageant presque.

Les rapporteusexs nient toute ressemblance fortuite avec l’apocalypse. Parce que beaucoup de convergentexs n’étaient pas croyantexs et que les qui croyaient en une ou plusieurs déessexs ne les considéraient pas capablexs d’un pareil cataclysme.

Les eaux troublées étaient contaminées par des humain.e.s. C’est ce qui se discutait sur les ponts et les cockpits durant la dernière partie de la traversée maritime. C’était après les plaines.

Les derniers kilomètres avant la terre, elles durent nager à contre courant, leurs embarcations harnachées à leurs bassins. L’entreprise demanda plusieurs semaines car on dut enseigner à certainexs à nager et à d’autres à crawler plus vite et plus fort. On élabora en même temps qu’on les améliora des sièges flottants (qui se révélèrent étonnamment hydrodynamiques) pour les convergentexs aux capacités différentes.

Les environs résonnent encore de leurs gorges déployées d’encouragements puissamment expulsés.

Les clapots turbulents puis les torrents incessants de crasse imposèrent l’établissement de campements temporaires à maintes reprises. Elles s’arrêtèrent alors sur des rives aléatoires, en groupe éparses et décidés par l’épuisement de leur énergie respective.

Depuis les tentes de fortune, quand le sol le permettait, et des hamacs, plus pratiques pour s’assurer une humidité corporelle négligeable, on rapporte des conversations à la lueur des lampes frontales et des bougies de cire d’abeilles. À l’écart des écoulements suintant des barrages, on dit que les vêtements servaient alors de combustible et de point de départ à l’échange des connaissances emportées depuis leurs contrées d’origine. Si les corps s’humidifiaient alors, ç’eut été pour des raisons simplement sensuelles.

Entre toutes les langues parlées, dont les porteusexs de fables n’ont pas l’entière maîtrise, les mots faisaient des détours, empruntaient de petites portes pour exprimer des conceptions grandioses et parfois grandiloquentes qui rassuraient. Le une extirpait de son dialecte ce qu’elle souhaitait démontrer dans un autre. Une otre inscrustait des phrases d’une autre époque dans des langues déjà partagées entre plusieurs frontières avant leur départ. Au passage, on abandonnait les genres grammaticaux aussi commodément que les fripes trempées.

On précise que les convergentexs décidèrent que les tirades des débats qui les concernaient n’avaient plus besoin de connaître leurs propre genre à elles. Les trophées et les amulettes les accompagnant ne demandaient pas à être réparties selon un sexe, et elles non plus. Le sabir né de leurs connexions se fit non-binaire.

Et les torses se gonflèrent pour reprendre d’assaut les courants antagonistes.

Elles remontèrent la vallée qui débouchait sur le canyon bordant un plateau. Elles détruisirent les batelles pour les réduire en éléments transportables. La nage prit ensuite la forme d’une escalade abrupte où chaque prise emportait le souffle des poumons contrits.

Le sol plus plat du plateau enfin atteint, on établit le dernier lieu de vie précédant l’ascension. Les habitations cernaient une montagne dont le pic abritait une cité habitée. Les miches de pain intactes furent divisées, les jars à jauges tactiles se versèrent les unes dans les autres, on fractionna les végétaux secs selon les besoins de cada une.

L’ascension prendrait des jours.

Les versants s’allongeaient majestueusement; et toutefois amoindris par les réminiscences du trajet déjà accompli.

Mains dans les mains, elles encerclèrent le mont en une ronde apatride représentée par personne sinon la somme de toutes leurs identités. Avançant pierre après pierre, talus après talus, c’était maintenant coudes à coudes que la maille humaine se déplaçait.

À quelques mètres des routes périphériques bruyantes, les épaules s’entrechoquaient déjà. Les omoplates s’encastraient et les convergentexs regardaient seulement en avant.

Les hoverboards et les voitures électriques ne purent continuer leur course.

Les porteusexs de fable assurent que les convergentexs investirent les quartiers aux constructions les plus hautes car c’est là qu’elles resserrèrent leur étau autour des établissements financiers.

Les groupes se dispersèrent dans les étages selon les affinités. Et chaque open space abandonna sa fonction originelle. On abattit presque tous les murs, des passerelles jaillirent des sommets, les fenêtres donnaient une vision panoramique sur la ville.

Une vague d’alliéexs déjà sur place convergea à son tour dans ce qu’on nomma TLC pour Triangle Libre Catastrophe. Et la vue depuis les hauteurs prévint les assauts des marées sombres et des idées rétrogrades. Le récit gravé de mains diverses et selon des techniques variées tient désormais lieu de bienvenue ou de mise en garde dans les différentes halls et entrées anticapitalistes et anti-coloniales de la TLC. Trônant au milieu de la ville, avant son déploiement futur.